LE FIGARO
- perspicillum
- 20 giu 2021
- Tempo di lettura: 10 min
Aggiornamento: 1 lug 2021
Placido Domingo: «Une grande partie de ma force vient de la foi!»
Thierry Hillériteau
20 June 2021
ENTRETIEN - Le chanteur de 80 ans reste plein d’énergie et d’envie de monter sur scène. Il se confie au Figaro sur ces dernières années, assombries par les allégations de harcèlement sexuel dont il a été l’objet.
Visé en août 2019 par une enquête de l’agence Associated Press pour des allégations de harcèlement sexuel, le ténor de légende - aujourd’hui baryton - a vu son étoile s’assombrir progressivement ces deux dernières années. Jusqu’à voir ses engagements annulés dans son pays, en Espagne, après la parution, le 25 février 2020, des résultats d’une investigation menée par l’American Guild of Musical Artists (AGMA).
Cette dernière faisait état «d’activité inappropriée, allant du flirt aux avances sexuelles, à l’intérieur et à l’extérieur du lieu de travail». Le même jour, AP publiait une lettre d’excuses du chanteur, destinée selon son entourage aux seules fins de l’enquête d’AGMA, et interprétée à tort comme un aveu de culpabilité. Quelques jours plus tard, une autre investigation, menée par un cabinet privé pour l’Opéra de Los Angeles, dévoilait elle aussi ses résultats. Estimant crédibles les allégations de «comportement inapproprié», elle affirmait qu’il n’existait «aucune preuve que M. Domingo s’est jamais engagé dans une contrepartie ou a exercé des représailles contre une femme en ne l’engageant pas ou en l’embauchant d’une autre manière à l’Opéra de Los Angeles». Atteint par le Covid en mars 2020, remis depuis, le chanteur, âgé de 80 ans et plus résilient que jamais, a accepté de sortir du silence pour s’expliquer et redire son amour indéfectible de la scène, qu’il retrouve peu à peu depuis quelques semaines. Y compris à Madrid, où il a fait son grand retour au début du mois, et à Paris, où il chante en ce soir de Fête de la musique.
LE FIGARO. - Le 9 juin, vous chantiez à Madrid pour un gala de charité. Votre premier concert dans la capitale espagnole depuis deux ans. Qu’avez-vous ressenti?
Placido DOMINGO. - Je garderai toujours dans mon cœur l’émotion très forte ressentie en montant sur scène : j’étais nerveux, je ne savais pas comment le public allait réagir à mon retour. Mais c’était comme si les gens avaient ressenti ce que je ressentais à l’intérieur. Et ils m’ont accueilli avec l’étreinte chaleureuse que vous obtenez lorsque vous rentrez à la maison. Je ne savais pas comment je pourrai chanter. J’avais les larmes aux yeux et la gorge nouée. Mais j’avais tellement envie de rendre cette énorme affection en donnant le mieux que je pouvais à mon peuple. Un concert inoubliable.
Fallait-il voir dans ce concert de charité l’amorce de votre grand retour sur la scène espagnole?
Cela ne dépend pas de moi. Si les théâtres me veulent, je suis là et continuerai à représenter fièrement la culture de mon pays dans le monde. En Espagne, je retournerai à Marbella en août et j’ai déjà d’autres engagements qui seront annoncés prochainement. C’est vraiment triste, mais plus les jours passent moins je comprends la raison pour laquelle (sans preuve et sans avoir commis aucune sorte d’abus) j’ai été écarté. Après une décision prise sans possibilité de répliquer, et en quelques heures à partir du moment où ce faux mea culpa a été publié. C’est ce que j’ai ensuite essayé de clarifier dans mes interviews. Y compris avec Associated Press l’été passé.
Chanter à Paris le jour de la Fête de la musique… Coïncidence ou symbole ?
La pandémie a bouleversé tous les plans. Et a aussi modifié la date de ce concert, qui devait être en mars. Mais c’est une belle coïncidence. Nous espérons que cette date sera de bon augure pour tous, et que nous pourrons redémarrer au nom de la musique qui a été l’un des secteurs culturels les plus touchés.
On vous a entendu pour la dernière fois à Paris en janvier 2019, à la Philharmonie. Quelle relation avez-vous avec Paris et le public français?
J’ai de très beaux souvenirs de ce concert. Chaque rencontre avec le public français est extraordinaire. J’ai tellement de bons souvenirs en France, à Paris ou Orange, et avant cela à Marseille et Nice. L’autre soir, mon manager me parlait d’un projet possible l’an prochain à l’Opéra Royal de Versailles, et je me suis souvenu que le 15 juillet 1989, pour le bicentenaire de la Révolution française, j’avais chanté Andrea Chénier à Versailles. C’était enchanteur.
Espérez-vous pouvoir faire votre retour dans d’autres villes importantes où vous avez été privé de scène depuis août 2019, début des allégations de harcèlement sexuel contre vous ?
J’ai eu le don d’une carrière très longue, et le privilège de chanter dans tous les plus grands théâtres du monde avec des collègues extraordinaires. C’était sans nul doute une amertume pour moi de me sentir ostracisé depuis quasiment deux ans par certains théâtres. Mais je comprends que ces décisions doivent répondre à des équilibres qui ne sont pas artistiques. J’ai une relation très ouverte avec presque tous les principaux directeurs généraux et artistique.Beaucoup me connaissent depuis des années, et ce qui m’importe le plus, c’est qu’ils m’ont manifesté à plusieurs reprises leur solidarité, et qu’eux-mêmes regrettent de ne pas pouvoir m’inviter.
Pourquoi sortir de votre silence depuis un an au sujet de ces allégations?
J’aurais dû le faire d’abord et tout de suite. J’ai eu tort de me taire et j’ai eu tort de suivre certains conseils. Mais j’étais profondément résigné… Certains, sans même me connaître, m’ont dépeint pour ce que je n’ai jamais été. Lorsque j’ai eu le Covid en mars 2020, j’ai réalisé que cela pourrait être la fin de ma carrière, et peut-être pas seulement. À ce moment, il m’est apparu que je ne pouvais pas accepter que tout se termine sans que les choses soient clarifiées. Cela n’était pas juste, pour l’amour de ma famille, et le respect envers tous ceux qui n’ont jamais cessé de croire en moi, et de me soutenir, car ils me connaissent pour celui que je suis vraiment. Ainsi, remis du Covid, j’ai retrouvé une énergie intérieure: je remercie le ciel pour cette précieuse opportunité.

En toute honnêteté, comment avez-vous vécu cette situation tant sur un plan personnel que professionnel ?
C’était horrible. En quelques heures, un orage médiatique semblait avoir bouleversé un demi-siècle de travail méticuleux et de sacrifices. J’ai un caractère solaire et j’essaie toujours d’être optimiste mais ce n’était pas facile. Heureusement ma famille m’a soutenu. Même les amis proches n’ont pas hésité à me défendre. Et dans les moments les plus sombres, la foi a été mon soutien.
Pensez-vous pouvoir un jour rechanter aux États-Unis après tout cela?
Je l’espère, car le public des États-Unis a toujours été extraordinaire avec moi, dans toutes les grandes compagnies d’opéra où j’ai chanté : Houston, Dallas, San Francisco, Washington, Los Angeles… Jusqu’au Met de New York.
En interview, vous avez insisté sur le fait que vos excuses, qui étaient sincères, n’étaient en aucun cas des aveux de culpabilité. Qu’aimeriez-vous dire aujourd’hui aux personnes à l’origine des allégations contre vous?
J’ai dit dès le premier jour que je n’avais jamais eu l’intention d’offenser qui que ce soit et que, si de façon totalement involontaire quelqu’un pouvait se sentir mal à l’aise à cause de moi, cela était au-delà de mes intentions. Mais je n’ai jamais abusé de personne! Chacun doit rendre compte à sa propre conscience.
Craignez-vous que certains de vos fans, choqués, vous tournent le dos?
Pour un artiste qui doit se produire sur scène, la peur que le public te voie non pour ce que tu es réellement, mais comme l’horrible caricature que certains avaient faite de moi est une peur inévitable. Je me souviens bien de la tension nerveuse que j’avais avant mon retour, fin août 2019, au Festival de Salzbourg. Mais le public a été extraordinaire: ils ont entendu mon état d’âme et m’ont, comme on dit, «pris par la main» avec un applaudissement interminable avant que j’ouvre la bouche pour chanter. Je n’oublierai jamais ce moment. De la part des fans qui me suivent depuis toujours, j’ai reçu un soutien extraordinaire, et beaucoup de très belles lettres qui m’ont montré combien ils se sont aussi documentés sur mon histoire.
Et que souhaiteriez-vous dire à votre public ?
J’aimerais que tout le monde sache que les mots que la presse a qualifiés de «mea culpa» sont un texte ambigu, et très dur, qui n’est pas sorti de ma tête. Mais ils ne sont en aucun cas un aveu de culpabilité : je n’ai commis aucun abus. Ce mea culpa a été envoyé à la presse avec superficialité par mon ancienne équipe de communication. J’ai eu tort de ne pas me désolidariser d’emblée de tout cela, en appelant immédiatement la presse pour clarifier ce qui s’était passé. Mais je répète qu’à l’époque, hélas, j’étais assez résigné à tout ce qui se passait autour de moi.
Parlons maintenant de la crise sanitaire qui bouleverse notre monde. Pour commencer, comment vous sentez-vous après vous être remis du Covid?
Je me sens très bien, et plein d’un enthousiasme renouvelé pour ce que, Dieu merci, je peux toujours faire. J’ai même perdu quelques kilos en trop, et fais encore de l’exercice tous les jours.
Avez-vous eu peur en contractant le Covid de ne plus jamais rechanter?
Oui et pas uniquement cela. Le Covid affecte les poumons et une perte de ma capacité respiratoire m’aurait privé de jeu sur scène. Mais je suis guéri.
Tout le monde connaît votre devise «If I rest I rust» (si je me repose je rouille). Comment avez-vous surmonté ces longs mois de repos forcé?
Le monde s’est trouvé suspendu dans les mois les plus sombres de la pandémie. J’ai été en arrêt complet pendant six mois, puis j’ai repris en août de l’an dernier, depuis l’Italie. Je me suis senti privilégié, même avec toutes les limitations de la pandémie, de pouvoir encore voyager, rencontrer le reste de ma famille, revoir le public et… remonter sur scène!
Quelles leçons tirerez-vous de la crise d’un point de vue personnel et pour le monde lyrique?
La musique me manquait tellement, et nous avons réalisé à quel point notre secteur était vulnérable. Je pense surtout aux jeunes qui débutent et à ceux qui travaillent dans les théâtres. Certains musiciens ont changé de métier, vendu leurs instruments pour aller de l’avant. C’est terrible. Ceux qui travaillent à tous les niveaux dans notre secteur doivent être protégés. Pendant les pires mois, j’étais à Acapulco, où j’ai pu profiter de l’amour de ma famille, et dès que je suis sorti de l’isolement du Covid, j’ai pu passer des journées avec mes petits-enfants qui étudiaient en ligne et m’ont impliqué dans leur vie quotidienne, ce que je ne peux généralement pas faire car je suis toujours en voyage.
Pensez-vous que le monde d’après la crise sera tellement différent?
Le Covid a laissé de terribles cicatrices : nous n’oublierons jamais. Il est de mon devoir d’aider ceux qui ont eu moins de chance que moi. Je suis convaincu que c’est à partir des difficultés qui nous éprouvent que nous pouvons apprendre et nous relever avec plus de motivation… Et, je l’espère, une plus grande conscience pour la protection de la planète et des équilibres qui la régissent.
Pensez-vous que la culture, et a fortiori la musique, joueront un rôle important dans les années qui vont venir, comme cela avait été le cas au sortir de la Première Guerre mondiale?
Oui, j’en suis sûr. Pendant tant de mois, nous avons été privés de la beauté de l’art, pour nous défendre contre ce virus. Plus que jamais, nous devons soutenir le renouveau de la musique et de la culture, et nous devons considérer la musique et la culture comme une nourriture essentielle pour notre esprit.
Vous avez eu 80 ans en janvier. Quelle est la première chose qui vous vient lorsque vous songez à votre carrière?
D’abord, c’est de remercier le ciel de m’avoir donné une carrière si longue et épanouissante. Deux merveilleux parents qui m’ont donné la vie. Et d’avoir Marta, mon épouse, à mes côtés: la femme extraordinaire qui a guidé chaque étape de ma carrière tout en veillant sur la famille.
Un souvenir est-il plus fort que l’autre dans cette carrière ?
J’ai accumulé de nombreux souvenirs précieux. Impossible de choisir. Le plus précieux est sans aucun doute l’ovation de mon peuple l’autre soir à Madrid. Ma ville. Je peux difficilement imaginer que quelque chose de plus grand m’arrive.
Parmi toutes vos collaborations, lesquelles vous ont le plus marqué, et quels artistes vous manquent le plus ?
J’ai chanté avec au moins quatre générations. La liste serait interminable. Depuis le conservatoire de Mexico, j’ai eu la chance de rencontrer des artistes comme Giuseppe Di Stefano. Au Met, j’ai fait mes débuts avec Tebaldi, et à l’Arena di Verona avec Nilsson! Et comment ne pas mentionner Montserrat Caballé, Mirella Freni, Leontyne Price, Renata Scotto, Joan Sutherland. Il y a deux chanteuses avec qui je n’ai jamais réussi à chanter mais qui ont marqué ma mémoire, Maria Callas et Giulietta Simionato. Tous les chefs avec qui j’ai travaillé, de grands amis à moi. Nous avons toujours travaillé en grande harmonie. Je n’ai jamais eu le moindre problème. Et puis j’ai travaillé et grandi avec les meilleurs réalisateurs, tels que Zeffirelli, Faggioni, Herzog, Moshinsky, Schlesinger, Ronconi, De Bosio, De Ana, Livermore, etc. J’ai été privilégié!
Pensez-vous un jour vous arrêter?
Bien sûr, le jour viendra où je dirai: «C’était ma dernière représentation.» Je n’aurais jamais pensé que je serais capable de chanter des opéras sur scène à 80 ans. Quand j’ai fait mes débuts avec Otello, à 34 ans, et La Forza del destino, à 27 ans, certains prédisaient que ma carrière serait courte. Simon Boccanegra en 2009 était supposé être mon dernier rôle sur scène, et à la place, j’ai chanté Germont à l’Opéra de Munich il y a quelques nuits. J’ai donc appris à ne pas faire trop de projections. La vie est un cadeau qu’il faut vivre au quotidien. Chaque instant est unique…
Qu’est-ce qui vous maintient aussi vivant, et plein d’envies musicales?
J’aime la musique, je suis curieux et enthousiaste à l’idée de travailler avec mes collègues à construire un spectacle pour le public. Je suis fasciné par le théâtre et quand je suis libre de répétitions ou représentations, j’accompagne ma femme aux représentations des collègues. À Madrid, j’ai entendu Carlos Álvarez dans Viva la Mamma au Teatro Real, et après mon concert, au Teatro de la Zarzuela, une troupe de jeunes dans une zarzuela que je n’avais pas entendue depuis des années. J’essaie de rester en forme avec une activité physique quotidienne et une alimentation saine, mais mon enthousiasme et mon énergie viennent principalement de la scène.
Vous sentez-vous plus fort aujourd’hui qu’avant les événements que l’on vient d’évoquer?
Je pense que oui. Ma force intérieure est plus forte que ma force physique, je la ressens comme une sérénité qui m’accompagne et me fait vivre chaque instant. Une grande partie de cette force vient de la foi. Du souvenir des êtres chers que la vie malheureusement éloigne, mais que je sens toujours proche de moi.
Comment vous voyez-vous dans dix ans?
Avec dix ans de plus… J’espère!
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